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« GRAND-PERE »

 

Toi et moi, on accordait de la noblesse à ce titre que je t’ai décerné dès que j’ai su parler. J’étais une enfant qui avait le privilège de te fréquenter beaucoup, et toi le passeur d’une infinité de savoirs magiques. L’architecture des châteaux de sable, des cabanes en bord de rivière, l’élaboration d’herbiers et d’essences de fleurs, les secrets des cathares et des cartes IGN jusqu’à l’histoire des luttes sociales du XXème siècle, découvrir le monde avec toi était un jeu d’enfant. Tu étais gentil, rarement autoritaire, souvent espiègle. Nous deux, on n’aimait pas les disputes. On s’amusait bien.

Tu m’as appris qu’en étant un tant soit peu curieuse et futée, on peut voyager dans le

temps à quelques mètres de chez soi, partir en expédition au bout d’une ligne de métro et changer de dimension avec une   simple feuille de papier et des crayons de couleur ; qu’une nouvelle journée est quoiqu’il arrive une nouvelle aventure au bout de laquelle on trouvera toujours au moins une raison de se réjouir ; qu’il faut accorder à ses joies du temps et de l’énergie, et que c’est aussi ainsi que l’on peut espérer construire un monde pacifique ; tu m’as transmis tout ça, toi l’enfant de la guerre.

Tu dessinais des ruelles, des villages, des marais et des criques, les paysages extraordinaires et communs qui te traversaient. J’ai l’impression d’avoir passé une éternité sur les routes départementales dans ta chère Yougo rouge, Arlette et moi à l’arrière, toi au volant. Tu m’as appris à m’émouvoir devant ces paysages, à aimer la mer et le Sud, à me sentir chez moi partout.

Toi, le retraité heureux, qui militait pour que toutes et tous aient accès à cette liberté d’avoir du temps pour soi, une fois dans sa vie, notamment pour connaître le bonheur de s’occuper des petits enfants.

Enfin, tu avais ton atelier, ton lieu de création à toi, un repère où tu avais la paix, et où tu

m’avais fait une place, les mercredis et le weekends. Oui, on s’amusait bien.

 

Ayant connu René Sedes ces 28 dernières années, je peux affirmer que c’était un grand vivant, avec ses filouteries et ses secrets, aussi. Cette humanité gourmande et têtue m’inspire une tendresse infinie. C’est aussi ça qui faisait son élégance malicieuse, rêver grand, toujours un peu au dessus de ses moyens.

Il laisse dans mon coeur un vide abyssal

Ces dernières années, alors que ses forces s’amenuisaient, il a réussi in extremis à me dicter ses Mémoires de Guerre d’un Enfant. Ça a été une course contre la montre et contre la maladie. On l’a fait ensemble et j’en suis heureuse et honorée.

J’espère aujourd’hui qu’il a retrouvé la douceur de la Catalogne.

 

Désormais il m’accompagne à travers cette phrase de Nietzsche qui lui va à merveille et qui est devenu mon mantra : « La maturité de l'homme, c'est d'avoir retrouvé le sérieux qu'on avait au jeu quand on était enfant. »

Mon grand-père avait ce sérieux là.

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