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IL FAUT SAUVER LA BUTTE ROUGE !

La cité historique de la Butte Rouge est en danger : voici l'article que lui a consacré le journal le Monde début janvier :

la cité-jardin de la Butte rouge

menacée de démolition

A Châtenay-Malabry, au sud de Paris, la municipalité prévoit de détruire 80 % de ce site architectural et paysager référence de l’urbanisme de l’entre-deux-guerres. L’Etat souhaite le sauvegarder.

Par Emeline Cazi

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cité-jardin La Butte rouge, à
 Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine),

le 4 janvier. CHRISTOPHE CAUDROY POUR LE MONDE

 

Dans le troisième volume de City Planning, Housing, publié en 1938, l’urbaniste et critique d’architecture Werner Hegemann a sélectionné deux photos et un plan d’ensemble de la Butte rouge de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) pour illustrer ce qui se fait alors de mieux en termes de logement social. La construction de la cité-jardin a débuté sept ans plus tôt au sud de Paris, mais l’auteur pressent qu’elle deviendra une référence.

L’histoire lui a donné raison. Des promotions entières d’architectes, d’urbanistes et d’élèves à l’Ecole du paysage sont venues étudier l’agencement de « la cité-jardin la plus harmonieuse d’Europe », comme la décrit Jean-Louis Cohen, historien de l’architecture et professeur au Collège de France.

Cette utopie de l’entre-deux-guerres, pensée pour que cohabitent au vert travailleurs, manuels et intellectuels et qui offre encore parmi les loyers les plus bas d’Ile-de-France, pourrait disparaître sous les pelles de démolition. Le site est menacé par une vaste opération immobilière. Si elle était approuvée, la modification du plan local d’urbanisme (PLU) soumise à enquête publique jusqu’au 11 janvier, permettrait de raser 80 % de la cité-jardin.

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La crainte de voir disparaître un pan majeur de l’histoire de l’urbanisme du XXe siècle mobilise les intellectuels et l’Etat depuis plus de deux ans. Le préfet des Hauts-de-Seine et le préfet de région ont prié les élus de revoir leur copie. La commission régionale de l’architecture et du patrimoine s’est prononcée contre le projet.

Mais tous se heurtent à une difficulté majeure. Cet ensemble d’immeubles modernistes de béton rose posés à l’ombre de chênes centenaires ne bénéficie d’aucune protection, contrairement à ses consœurs, dont certaines, à Berlin, sont même inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco.

 

Procédure rarissime

 

Encore eût-il fallu que l’ex-maire (Les Républicains) Georges Siffredi, et son successeur Carl Segaud à qui il a confié les clés depuis qu’il a pris la tête du département des Hauts-de-Seine en mai 2020, le veuillent.

Mais plutôt que de demander le classement de la cité-jardin au titre des sites patrimoniaux remarquables (SPR) − toute modification serait alors soumise à autorisation – comme la ministre de la culture, Françoise Nyssen, le lui avait fortement suggéré en 2018, la municipalité a préféré demander des permis de démolir − jusqu’alors refusés par le préfet.

Depuis, le cabinet de la nouvelle ministre, Roselyne Bachelot, laquelle « tient pour indispensable le classement de l’ensemble de ce quartier », s’accroche à l’« engagement oral » qu’ont pris les élus en octobre 2020 de demander la protection.

Dans un courrier du 28 décembre, le préfet s’est permis « d’insister sur l’importance de cet engagement dont (il) fai(t) un préalable pour la poursuite de l’opération de réhabilitation ». Le maire Carl Segaud assure « ne pas y être opposé, mais il faut définir le contenu et le périmètre ». S’il venait à trop traîner les pieds, le ministère n’exclut pas de recourir à une procédure rarissime : le classement d’autorité par décret en Conseil d’Etat.

Il y a, selon l’historien Jean-Louis Cohen, dans le projet de la municipalité « une haine du logement social et une manière de déployer le tapis rouge à la promotion privée »

« Ces élus méconnaissent ce qu’a été cette expérience : la conjugaison d’une réforme sociale et d’une invention architecturale », déplore l’historien Jean-Louis Cohen qui livre une lecture très politique du dossier. Selon lui, le projet actuel traduit « une haine du logement social et est une manière de déployer le tapis rouge à la promotion privée ».

Un F2 à la Butte rouge se loue 260 euros ; un F3, 350 euros et un F4, 450 euros. Les familles les plus modestes y vivent donc. Or, au nom « d’une mixité sociale » à retrouver, la proportion de logements financés par le prêt locatif aidé d’intégration (PLAI), la catégorie la plus basse du parc social, qui représentent aujourd’hui 100 % du site, tomberait à un tiers, selon les plans de la municipalité. Le second tiers serait réservé à l’accession à la propriété, et le troisième à du plus grand standing.

« Le modèle de tout ça, c’est ce qui s’est passé sur la commune voisine du Plessis-Robinson avec une destruction quasi systématique de la cité-jardin pour la remplacer par une fausse cité-jardin », complète Benoît Pouvreau, historien et représentant pour l’Ile-de-France de Docomomo, une association de défense de l’architecture, de l’urbanisme et des paysages du XXe siècle. L’arrivée du tramway aiguise l’appétit des promoteurs. Lesquels ont déjà montré ce dont ils étaient capables en rasant les maisons en pierres meulières et l’habitat de faubourg de l’avenue de la division Leclerc pour les remplacer par des immeubles d’imitation hausmanienne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapelle copte de la cité-jardin La Butte rouge, à Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine),

le 4 janvier 2021. CHRISTOPHE CAUDROY POUR LE MONDE

 

La Butte rouge appartient à la quinzaine de cités-jardins voulues par Henri Sellier lorsqu’il était administrateur délégué de l’office public d’habitations du département de la Seine avant de devenir ministre de la santé publique de Léon Blum.

En 1917, le département achète 55 hectares de parcelles maraîchères et de vergers sur le plateau de Malabry. Le site vallonné, en bordure du bois de Verrières, a un charme fou. Lauréats du concours lancé en 1919 pour définir le plan d’extension de la capitale, les architectes Joseph Bassompierre-Sewrin, Paul de Ruté, André Arfvidson, Paul Sirvin, son fils Pierre, et le paysagiste André Riousse proposent d’y bâtir la « cité-jardin du grand Paris ».

Préservation du végétal

 

Il faudra près de trente-cinq ans et sept tranches de travaux pour que le quartier devienne cet ensemble de 4 000 logements où vivent aujourd’hui près de 10 000 habitants, soit un tiers de la population de Châtenay.

Deux axes entrecoupés de routes en lacets et de chemins de traverse structurent l’ensemble et débouchent sur de grandes places, des squares et jardins. Surtout, à l’heure où chaque élu réclame son « écoquartier » − Châtenay a d’ailleurs programmé le sien sur l’ancien site de l’école Centrale −, la Butte rouge en adopte tous les principes bien avant l’heure.

Préserver les arbres du site fut le souci constant des architectes. « Les bâtiments ont été construits autour », insistent Barbara Gutglas et Elisabeth Couvé, membres de l’association Châtenay patrimoine environnement (ACPE). Un système ingénieux de récupération des eaux pluviales alimente un grand bassin et une centaine de jardins familiaux. Une autre tuyauterie, sous air comprimé, aspire les déchets depuis les cuisines des appartements et les conduit jusqu’à l’usine d’incinération. La chaleur produite chauffe la piscine. L’été, l’ombre des chênes, des marronniers, des tilleuls et des érables rafraîchit pelouses et façades.

« Le quartier est magnifique, très verdoyant, le patrimoine remarquable, mais les bâtiments sont dans une situation catastrophique » Carl Segaud, maire de Châtenay-Malabry

A contre-courant des urbanistes d’aujourd’hui qui insistent sur la nécessité de réintroduire du végétal en ville en prévision des étés caniculaires de 2050, le maire n’exclut pas d’abattre certains arbres « très proches des bâtiments, qui apportent de l’ombre ». Si l’un d’eux devait l’être, il « devra être remplacé par un sujet de même développement », promet l’enquête publique. C’est ignorer qu’un chêne centenaire ne se remplace pas comme on changerait un lampadaire défectueux, et que « la reprise de grands arbres devient difficile avec le changement climatique », ajoute Louis Vallin, le représentant départemental de l’association Arbres, un collectif d’amoureux des arbres qui œuvre à protéger les sujets les plus remarquables. Celle-ci organise d’ailleurs une petite cérémonie, fin janvier, pour rappeler la valeur du patrimoine de la Butte rouge, et l’existence d’une dizaine de sujets inestimables, dont un acacia au moins tricentenaire.

« Le quartier est magnifique, très verdoyant, le patrimoine remarquable, mais les bâtiments sont dans une situation catastrophique », insiste Carl Segaud pour défendre son projet. Les appartements sont rongés par l’humidité, leur taille ne correspond plus aux besoins de l’époque, les balcons, les places de stationnement manquent, détaille l’élu. Mais confrontés à des problèmes similaires, d’autres bailleurs ont préféré réhabiliter plutôt que de démolir.

 

 

 

Cité-jardin La Butte rouge, à Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine),

le 4 janvier 2021. CHRISTOPHE CAUDROY POUR LE MONDE

 

Ainsi, les cités-jardins de Stains et du Pré-Saint-Gervais, propriétés de Seine-Saint-Denis habitat. Toutes deux ont fait l’objet d’une réhabilitation lourde mais aucun bâtiment n’a été détruit. L’humidité a été traitée grâce à une meilleure aération, des F3 ont été réunis pour créer de plus grands appartements, explique Marian Sypniewski, chef de l’un des services réhabilitations du bailleur, et membre de l’association régionale des cités-jardins. « Au lieu d’avoir un patrimoine très homogène et banal, nous faisons le pari de garder des logements chargés d’histoire et de qualité. Les logements sociaux publics de cette époque sont vraiment de qualité et ont souvent tenu sans gros travaux pendant soixante ou soixante-dix ans », poursuit-il.

 

Manque de considération

 

Le devenir de la Butte rouge pose une question plus large : celle de la préservation du patrimoine du XXe siècle et de son financement.

C’est peu dire que la défense d’une collection de barres mobilise moins qu’une chapelle du XVIIe. Depuis 2003, le grignotage des grands ensembles par les pelleteuses de l’Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU), qui accorde ses crédits en échange d’un nombre certain de démolitions, n’émeut pas grand monde.

Mais « la culture, ce n’est pas que des bâtiments, des éléments de décor mis les uns à côté des autres. Ce sont aussi des territoires urbanisés avec une mixité sociale, rappelle Bernard Toulier, conservateur général honoraire du patrimoine et membre du comité scientifique de Docomomo. On doit trouver les moyens de transmettre cet héritage. Et si la culture n’en a pas les moyens, créons une section patrimoine à l’ANRU ».

L’avenir des tours Aillaud à Nanterre, les fameuses tours nuages, illustre bien ce manque de considération pour la production des « trente glorieuses ». « Comment se fait-il que la rénovation des tours ait fait l’objet de deux concours différents ?, poursuit Bernard Toulier. A terme, une partie des tours Aillaud sera recouverte d’un bardage métallique avec des pixels à la Mondrian. On est loin de la subtilité poétique voulue par Emile Aillaud et Fabio Rieti ».

A la faveur d’une dent creuse et de la démolition d’un équipement public, des constructions ont récemment vu le jour à la Butte rouge. Préfigurent-elles le nouveau visage du quartier si la mairie menait sa « restructuration lourde » à son terme ? Le rose poudré des façades et la géométrie années 1930 ont disparu. Les espaces verts sont désormais ceints d’un grillage. La pelouse accessible par digicode, c’est peut-être là l’esprit de la cité-jardin du XXIe siècle.

 

Emeline Cazi

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