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L'HISTOIRE DU 13

 

 

(1920)

Après la première guerre mondiale, les années 20 virent une frénésie de construction : les villages autour des villes devinrent des banlieues parsemées de pavillons et d’« Habitations à Bon Marché » remplaçant les masures anciennes et les taudis de la « Zone ». Le maire de Vanves, Frédéric Pic, entreprit de mettre la ville au goût du jour et il bénéficia du concours d’Henri Seller, maire de Suresnes, et théoricien reconnu du « logement social ».

C’est de cette époque que datent les « Puces de Vanves », seul survivance des « fortifs » : dans le no man’s land, vide par obligation stratégique, qui s’étendait au delà du mur d’enceinte de Paris, allait se développer toute une série d’activités plus ou moins autorisées ou légales, de la prostitution au dépouillement des passants, en passant par de petits marchés populaires, les fameux « marchés aux puces »... dont la tradition perdure encore aujourd’hui.

 

(1929)

Vanves fait partie d’une aristocratie, celle des villes d’utopie : en cette année 1929, c’est l’inauguration de la cité-jardin de la rue de Chatillon... sur d’anciens jardins maraîchers, va voir le jour un des plus beaux fleurons des rêves nés en ces années de crise du XXème siècle... la mixité sociale et la qualité de la vie pour tous... Au lieu-dit "Lapointe des Groux", sur l'emplacement de jardins maraîchers et d'anciennes carrières, le Square Maurice-Payret-Dortail, cité d'habitations à bon marché va bientôt accueillir ses nouveaux locataires. Elle porte le numéro 13 de la rue de Châtillon. Cité d'avant garde à Vanves, une commune de banlieue hier encore rurale, elle va être d'abord une curiosité, une expérience intéressante de vie collective ensuite, et enfin un exemple de logement social qui aurait pu être suivi.

En somme une dame bien tranquille de soixante-trois ans, qui ne porte pas trop mal son âge et dont voici l'histoire ...Le square Maurice Payret Dortail résulte de l'action d'Henri Sellier, président de l'Office Public des HBM du Département de la Seine. Pour ce précurseur et militant social, les "habitations à bon marché" (HLM de l'époque) n'étaient pas des cités d'exclusion, mais au contraire un moyen de réinstallation sociale à partir de logements sains et confortables, sur un fond de vie collective authentique.

Avec l'architecte Maurice Payret Dortail, Henri Sellier [1] conçoit  sur  d'anciens jardins maraîchers un ensemble d'habitations d'un genre nouveau. Sur un terrain pentu, il fait édifier, en 1929, un square fermé composé de cinq bâtiments à quatre étages disposés en quinconce, et d'un sixième bordant la rue. Sur les courettes à jardins situées entre chacun d'eux s'ouvrent des ateliers d'artistes. Dans cette petite cité, on privilégie le brassage social et la vie collective et culturelle grâce à un local d'activités (salle de spectacles et de cinéma animée par les locataires) et un pavillon réservé au service social (suivi de l'état de santé des résidents, organisation de colonies de vacances). Enfin, quatre commerces répondent aux besoins quotidiens des résidents.

Chaque appartement bénéficie du dernier confort : gaz, électricité, eau courante, chauffage central, séchoir à linge, W-C, salle de bains avec baignoire, vide-ordure automatique. Quelques années après sa construction, ce prototype servira de modèle pour d'autres ensembles au Plessis-Robinson et à Châtenay-Malabry.

Le Square Payret-Dortail, fut édifié en un temps record, grâce à des procédés de construction industrielle et en utilisant des matériaux nouveaux. En moins de deux ans l’affaire était faite et les locataires s’installèrent bien vite dans les 144 logements et les 27 ateliers d’artistes.

 

(1930-1940)

Par rapport aux logis vanvéens d’alors, le confort était inouï : salles de bains à chauffe-eau électriques, séchoirs, chauffage central collectif, vide-ordures à l’évier et de l’air et de la lumière partout ! En plus, on trouvait, intégré à l’ensemble, tous les commerces nécessaires ; une « coop », un boucher, un crémier et même un salon de coiffure… Une assistante sociale était attachée au « square », des « lits de fondation » réservés à l’hôpital Saint-Joseph de Paris et les enfants de la cité pouvaient profiter du grand air dans la colonie de vacances de l’office HBM à Hossegor. La santé de cette population variée était à ce prix…

 

À l’initiative d’un peintre résident, Jean-Pierre Carré et de son épouse, les habitants prirent en main l’animation de la cité : dans son atelier, un cinéma fut créé de toutes pièces, qui pouvait se transformer en théâtre où se produisit une troupe formée par les résidents eux-mêmes. Quel bel exemple d’autogestion sociale ; pourtant c’était en pleine crise économique : celle de 1929 !

 

(1940-1945)

Comme partout ailleurs, la déclaration de guerre, puis la débâcle et l’occupation stupéfièrent les habitants de la cité. Couvre-feu, restrictions, chasse aux réfractaires du Service de travail obligatoire en Allemagne : les beaux jours s’étaient bien enfuis. La prudence et la méfiance étaient de mise : beaucoup d’attentistes côtoyaient quelques résistants et un peu moins de collaborateurs de l’occupant. En 1943, les bombardements des usines Renault par les Américains fit arriver dans la cité un lot important de sinistrés qui ne furent accueillis qu’avec réticence par une population n’ayant pas encore perdu sa cohésion des années trente.

Avant même la libération de Paris, celle de Vanves s’effectua après quelques escarmouches. La vie allait-t-elle reprendre comme avant ? Non. La Libération tant attendue ne vit pas tout de suite la fin des pénuries. Les démobilisés, les prisonniers et les déportés survivants rentrèrent, mais les évènements de ces années sombres provoquèrent des césures tenaces et il y eut des regards qui ne se croisèrent jamais plus.

 

(1950-1968)

En ce début des Trente Glorieuses on tenta bien d’organiser  quelques fêtes dans le Foyer des locataires, mais cela tourna court. Jean-Pierre Carré était mort depuis peu et le flambeau ne fut plus repris. Certes, le décor était toujours là, des commerces de la cité au « Tout va bien », le café restaurant de la « mère Jo » à la boutique de marchand de couleurs du « Petit René », mais il n’y avait plus de pièce à jouer. Le 13 devint une cité comme les autres, et même un peu méprisée par les Vanvéens. Et, signe des temps, les « Habitations à bon marché » devinrent des « Habitations à loyer modéré ». La télévision naissante, les vacances et les voyages, de nouveaux possibles grâce à l’apparition des scooters et la généralisation de l’automobile, poussèrent à l’individualisation des loisirs. Enfin, la « Guerre froide » entre l’Est et l’ouest et les guerres coloniales, dont celle d’Algérie, produisirent des clivages qui rendaient impossible toute action collective.

(1968-1990)

Les premiers résidents, acteurs de l’aventure des années trente, ont peu à peu dispararu et les Trente glorieuses, période de prospérité et de bien-être, touchent à leur fin. Les évènements de mai 68, laissent peu de traces sur le moment, hormis le bruit des grenades éclatant au Quartier Latin, qui parviennent jusqu’au 13. Mais Vanves se transforme considérablement. Sur le bas de la commune, sur le plateau et même devant la cité, surgissent tours et barres massives et imposantes, dont ne soupçonne pas encore qu’avec leur concentration de population elles sont lourdes de tensions sociales, d’insécurité et de mal-vivre qui ne tarderont pas à apparaître. Face à ces mastodontes arrogants, le Square Maurice-Payret Dortail, fait un peu vieillot mais fait figure d’ilot paisible…

 

(1990-2018)

Depuis sa construction, pratiquement rien n’avait été fait dans la cité en  matière de travaux de rénovation  Sa robustesse semblait en dispenser la nécessité. Mais le vieillissement de ses équipements conduisit tout de même à organiser plusieurs campagnes de réhabilitations afin de les mettre aux normes.

En 2018, la Cité était parmi les premiers sites à recevoir le label de "Patrimoine d'intérêt régional", un label décerné par le Conseil Régional d'Ile de France.

 

[1] L'architecte Maurice Payret-Dortail (1874-1929) a innové dans les domaines de l'hygiène (circulation de l'air, traitement des déchets ménagers, circulation) et de l'industrialisation de la construction. Henri Sellier le prend dans son équipe de concepteurs. Maurice Payret-Dortail meurt en 1929 de la fièvre typhoïde. Il a réalisé à Paris une partie du programme des 4 Frères Peignots, dans le XVe arrondissement, la cité jardin du Plessis Robinson et à Vanves la cité de la rue de Chatillon. Il a aussi réalisé pour l'Office de Bourges, la cité de l'aéroport.

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