top of page

Oraison pour René, par sa fille Anne.

 

René, je te tutoie, car tu es maintenant dans un monde où nous sommes tous Ajistes. Tu étais né en 1932 à Paris, d’un père catalan et d’une mère bretonne, deux immigrés de l’intérieur. Tu as passé une enfance heureuse de petit parisien fils d’une couturière et d’un employé, avec ton grand frère Maurice et avec Bouboule, le chien que tu prenais pour ton cheval. La guerre vous a mis sur les routes de l’exode, jusqu’à Pia, dans le Roussillon, cette région catalane dont tu es tombé amoureux et dont tu as très vite appris la langue, d’où cette chanson que nous venons d’entendre. Car au-delà des années, ton cœur d’enfant était resté là-bas, gardé au chaud dans le souvenir de la douce amitiés des copains de l’époque, Francois, Vincent, Adrien et Phiphine. Ton père vous y avait abandonné, et c’est seul avec Maria, ta mère, que tu as rejoint Maurice qui venait d’être nommé postier à Vanves en 1947; tu avais 15 ans. Maurice t’a payé des cours de dessins, puis est tombé malade, et à l’heure de rejoindre l’école Estienne où tu étais admis, tu n’avais pas l’argent pour payer l’inscription. Alors tu es devenu ouvrier typographe au cadastre, et tu as découvert les métiers du livre et de l’édition. Tu y a aussi découvert le syndicalisme et l’engagement.

 

Mais ton besoin d’évasion et ta faim de connaître le monde t’ont ouvert l’univers des auberges de jeunesse. D’abord dans le groupe ISSY Stop, puis en lançant Paris Chahut. Tu seras bientôt appelé, en Allemagne. Retour à Paris ; élu secrétaire général à la FNAJ,  puis appelé en Algérie, pour une guerre qui n’était pas la tienne.

 

Avant ton départ, tu croiseras Arlette, venu de St-Nazaire prendre le relai à la direction des auberges, rue de Milan. Vous vous marierez en 1959. Puis viendront les années soixante, un mélange de joie de vivre, de voyages et de bagarres politiques, d’agitations amoureuses et de difficultés familiales, avec une petite fille qui arrive en 1964 et toute une tribu de petits rigolos, comme tu appelais tes neveux et nièces. Tu quittes en 1967 la direction de la FUAJ a laquelle tu avais tant contribué.

 

Toujours entre deux trains, entre Paris et St-Nazaire tu traverses la vie. Fin des années soixante-dix, tu entres à l’APAJH, comme documentaliste, tout en suivant Arlette à l’université de Vincennes, où tu complètes ta formation en sciences de l’éducation, sciences politiques et historiques. Puis tu t’engages à Force ouvrière - action sociale, ainsi qu’au PS de Vanves.  A la retraite, une petite fille arrive, tu t’es remis depuis plusieurs années à la peinture, et à l’écriture. Tu militeras pour ainsi dire jusqu’à tes quatre-vingt ans. Tu rejoindras alors les copains de l’ANAAJ, l’association des anciens des auberges de jeunesse, avec qui tu poursuivras un travail de mémoire, aux côtés entre autres d’André Souche et de Daniel Bret.

 

Tu nous laisses des textes magnifiques, nous racontant la traversée de ta vie, comme cette « petite maison dans un triangle », qui relate ta jeunesse d’ajiste, ceux du 13, l’histoire de la Cité Payret Dortail, où tu as vécu et que tu as transfigurée, où bien encore les « mémoires de guerre d’un enfant », dictées à Juliette.

Tu laisses également des tableaux, des fusains, des pastels, éparpillés chez les uns et les  autres, tes cartes de voeux,  toutes tes visions d’un monde que tu arpentais de ta marche rapide, et dont tu étais éperdument amoureux, jusqu’à transfigurer le quotidien.

 

Ces cinq dernières années, marquées par la maladie et le handicap t’ont isolé du monde, mais jusqu’au bout, jusqu’au dernier souffle, tu t’es battu, pour rester du côté de la vie.


Alors tu laisses tous ceux qui t’ont aimé, ceux que tu savais écouter, faire parler, élever, avec qui tu refaisais le monde  et avec qui parfois tu t’opposais, et ceux-là te regrettent à jamais.

bottom of page